De courtes fables en prose, amenant, à l'instar du bon Jean de la Fontaine,  une morale incontournable....

2. "On sera les Champions... peut-être demain..."

(où la mystique la plus ésotérique rejoint les contingences d'un sport populaire…)

Dans ce petit village provincial, rien ne semblait devoir troubler la quiétude ronronnante d'une vie bien sage. 

Depuis des semaines pourtant, la rumeur devenait insistante. Des bigotes racontaient d'étranges apparitions d'une forme vaguement humaine rodant aux abords de l'église. Certaines prétendaient avoir vu ce personnage irréel sortir de l'église, d'autres à l'intérieur même de l'édifice. Leurs concitoyens saluaient ces récits vagues et décousus d'un haussement d'épaules, en marmonnant parfois: "Vieilles gâteuses...".

Puis, le bedeau s'en mêla. Sa fonction impliquant sa présence quasi permanente sur les lieux, il avait lui aussi vu une silhouette dans la pénombre. Là encore, la plupart écartèrent ce témoignage, l'expliquant par les limites intellectuelles supposées du dit bedeau. La coutume étant souvent de confier cette charge à l'idiot du village, on en conclut un peu vite que tout bedeau est idiot, quelles que soient ses qualités.

Bientôt, au fur et à mesure, les témoignages s'accumulaient, provenant de sources de plus en plus dignes de foi. A la sortie d'un des offices dominicaux, plusieurs dizaines de personnes affirmèrent avoir vu quelque chose ou quelqu'un. Parmi eux, l'instituteur, puis le boulanger, tous deux censés avoir les pieds sur terre, confirmèrent . Les plus réticents commencèrent alors à être ébranlés.

Lorsque le maire lui-même jura avoir vu cette silhouette humaine dans le coin gauche de l'abside, sous la voûte abritant la statue de la Vierge, plus personne ne douta; d'autant que, peu de temps après, l'apparition maintes fois entrevue se révéla enfin.

Un dimanche, la messe réunissant la plupart des habitants avant l'apéro se terminait. Profitant d'un silence concédé par le curé, une voix s'éleva du coin de la nef où certains avaient déjà vu quelque chose. En écarquillant les yeux, les fidèles discernèrent peu à peu la silhouette, presque familière, tant les récits des uns et des autres avaient fini par donner une réalité à ce qui n'était peut-être qu'une hallucination.

"Pêcheurs incrédules, regardez-moi: je suis Melchior... le Mage immortel, qui, avec mes amis Gaspard et Balthazar, eût le privilège unique de vénérer Jésus après sa naissance. J'ai traversé les âges, et me voici…"

A ces mots, l'assistance, composée dans sa majorité de croyants à la pratique de moins en moins assidue, réagit par quelques murmures émergeant d'un silence pesant, où la crainte se mêlait à l'ébahissement.

"Vous découvrirez peu à peu", reprit le Mage, "les pouvoirs divins que Notre-Seigneur m'a conférés. Je vous visiterai périodiquement sous cette Voûte de l'église, que j'ai choisie pour que vous me vénériez. Déposez-y vos offrandes: Dieu vous le rendra au centuple".

Après quelques jours de stupeur superstitieuse,  les activités reprirent comme si de rien n'était... Ou presque, car, de temps à autre, il leur arrivait d'apercevoir ici ou là la silhouette du Mage. Ce dernier quittait de plus en plus souvent la Voûte, où il semblait apparaître et disparaître à volonté, pour aller et venir à sa guise.

Sa présence devenait presque familière. Aussi, après plusieurs semaines sans que personne n'ait vu le Mage, la perplexité gagnait la population. Un dimanche pourtant, il réapparut et annonça: "Je souhaite explorer les alentours du bois voisin, mais pour cela, il faut traverser un étang marécageux. Mettez à ma disposition une chaise à porteur et quatre hommes pour me transporter d'ici au lieu que j'indiquerai. Ce sera un signe de votre vénération, et je pourrai ainsi aller dans ce bois sacré sans me mouiller ou me salir dans votre étang".

Et c'est ainsi que, régulièrement, il était possible d'apercevoir, au coucher du soleil se reflétant sur les eaux mauves de l'étang, un étrange équipage allant et venant, sans que personne ne s'étonnât plus.

Conclusion…

 

 

"Le Mage de voûte erre porté à cause du mauve étang".

 Et un bonus pour les esthètes